Bonne page : La pêche, un atout pour l’aménagement des territoires côtiers

(…) L’économie néolibérale prétend qu’il faut laisser faire la libre concurrence, que dans un environnement concurrentiel la rentabilité des entreprises de pêche reste le critère de la durabilité économique, et qu’après tout, si la pêche est peu rentable, il est souhaitable qu’elle régresse pour être remplacée par des activités plus performantes.

Mais l’expérience montre que dans de nombreux territoires côtiers, lorsque la pêche périclite, c’est toute l’activité économique qui s’érode et peut s’effondrer. Parfois, le tourisme s’installe, avec sa puissance et ses excès, avec ses saisons estivales florissantes et ses déserts hivernaux. Mais bien souvent rien ne remplace les bateaux et les entreprises de pêche disparus. La concurrence ne crée pas de la modernité, mais de la désertification économique. C’est particulièrement vrai dans les territoires côtiers périphériques, ceux qui sont à l’écart des dynamiques urbaines ou périurbaines. Lorsque la pêche régresse, c’est ici la précarité, le détricotage du tissu social, le vieillissement de la population et le repli sur soi qui progressent.

Les élus politiques de ces territoires en ont généralement bien conscience. Lorsqu’ils essaient de maintenir une activité de pêche en péril, ils défendent plus qu’une activité économique, plus que l’emploi local. Ils agissent pour la vitalité et l’attractivité d’un territoire, pour le dynamisme d’une communauté humaine, pour la résilience des relations sociales. La pêche n’est pas un secteur économique comme les autres. En tant qu’activité pérenne, par définition localisée sur la côte, elle a un rôle spécifique, sociétal, à jouer.



Comprenons-nous bien. Il n’est évidemment pas question de prétendre que l’activité de pêche devrait être maintenue à tout prix pour des raisons d’aménagement du territoire, quelle que soit par ailleurs sa viabilité économique. En revanche, ce qui est vrai, c’est que donner à la pêche un rôle dans l’aménagement des territoires côtiers change l’échelle du raisonnement économique, et la place de l’économie dans la décision publique.

Là où la pêche est une activité productive comme une autre, on peut comprendre que le raisonnement économique se fasse prioritairement à l’échelle de l’entreprise. On cherche alors à produire le plus de poissons possible, avec le moins de bateaux, de marins ou de coûts d’exploitation possible. La rationalité économique, construite à l’échelle de l’entreprise, conduit inéluctablement à privilégier une pêche qu’on peut qualifier de plus industrielle, une pêche où un petit nombre de gros bateaux très efficaces tournent à plein régime, une pêche où le nombre de marins employés est souvent faible.

Globalement, c’est le modèle de développement choisi par des pays européens comme l’Allemagne ou le Danemark, mais également par les États-Unis ou le Canada. Dans ces pays, on a réellement du mal à comprendre pourquoi ces maudits Français tiennent tant à maintenir un type de pêche plus artisanal et des modes de gestion qui, refusant les seuls critères de la rentabilité et de la concurrence économique, sont jugés archaïques.

Pourtant, c’est bien l’aménagement des territoires qui fait la différence. Lorsqu’il devient l’une des raisons d’être de la pêche, le raisonnement économique à l’échelle de l’entreprise s’avère insuffisant. Il reste nécessaire, mais il faut lui adjoindre un raisonnement économique à l’échelle du territoire. Quels coûts et quels bénéfices pour tel ou tel type de pêche ? Pas seulement pour les entreprises de pêche elles-mêmes, mais pour l’ensemble du tissu économique local. Pour les entreprises de mareyage, de construction navale ou d’avitaillement, mais aussi pour les entreprises du bâtiment, pour le garagiste, le boulanger ou le coiffeur. Ce raisonnement économique à l’échelle de la société conduit à privilégier un mode de pêche plus artisanal, sans doute moins rentable à l’échelle de chaque entreprise de pêche, mais pourvoyeur d’un plus grand nombre d’emplois.

Il y a ainsi une rationalité économique sociétale qui complète et souvent corrige la rationalité économique des entreprises. Et à cette rationalité économique sociétale, il convient d’adjoindre des valeurs non marchandes, des considérations éthiques, culturelles et sociales. Quels coûts et quels bénéfices sociaux, culturels ou éthiques pour tel ou tel type de pêche ? Quelles conséquences pour le bonheur des individus, pour le bien-être du territoire, pour les équilibres intergénérationnels, pour la vie associative, sportive ou culturelle ? Ce sont ces critères qui doivent primer pour définir le type de pêche dont nous avons besoin, et les modes de gestion qui sont à privilégier (… à suivre).

(POUR UNE REVOLUTION DANS LA MER – Chapitre 7 : Maximiser l’utilité économique et sociale, l’objectif c’est l’Homme)